« Parcours humain à l’origine du projet »
Accompagnant les apprenants dans leur projet professionnel, j’ai saisi des besoins qui ne me semblaient comblés par aucun outil existant jusqu’alors.
Voici l’expérience précise, qui a donnait naissance à ce projet.
Genèse d’un projet au plus près des besoins professionnels des apprenants
Le cahier de communication pour les auxiliaires de vie et aides à domicile, publiés aux Presses du Midi en 2019, est un outil dont la nécessité m’est apparue dans l’exercice de mon activité de formatrice : accompagnement des stagiaires dans la réussite professionnelle.
Ce projet a une histoire, forgée au quotidien avec celles et ceux qui me l’ont inspirée au cours de ma carrière de formatrice. Il est né de l’expérience pratique de l’accompagnement des apprenants dans l’élaboration de leur parcours professionnel. Voici dans cette rubrique les épisodes clés de ce parcours, tel que je les ai vécus au sein du centre de formation dans lequel j’ai exercé. Venez avec moi dans ma classe.
Naissance du projet dans l’esprit des apprenants
Ce jour-là, nous avions réuni des stagiaires intéressés par le métier d’aide-ménagère. Certaines avaient déjà travaillé dans cette branche quelques heures par semaine, d’autres avaient aidé quelqu’un dans leur famille, un grand-père, une grand-mère, un voisin âgé, quelques-unes ne s’étaient jamais exercées dans ce domaine d’activité, l’une d’entre elles n’avait jamais eu d’emploi.
Toutes, je dis « toutes » parce que les intéressées étaient des femmes, ne savaient pas comment se faire connaitre d’employeurs potentiels si ce n’était grâce à Pôle-Emploi mais beaucoup n’étaient pas inscrites, elles étaient envoyées par l’OFFI (Office Français Immigration Intégration) pour apprendre le FLI (Français Langue d’Intégration).
Le responsable du centre de formation avait été contacté par une entreprise d’aide à la personne. La directrice de cette entreprise savait que nous travaillions sur le projet professionnel de personnes en difficulté. Elle voulait parler de son établissement à nos stagiaires et du type d’activités que ses employés produisaient.
Nous avions réuni les personnes intéressées le matin ; elles étaient toutes très enthousiastes à l’annonce de cette visite en début d’après-midi.
Je leur demandais pourquoi ce métier leur plaisait, elles me répondirent : « Madame, on sait toutes faire le ménage ».
Fatima me dit :« Moi, j’étais aide-soignante en Tunisie. Je faisais le lit et le ménage de la chambre, je donnais les repas aussi et parfois les médicaments ».
Tatiana ajouta : « J’étais ingénieur dans une fabrique de produits ménagers. »
Luiza répondit : « C’est pas lo mesma cosa, heu !! le pareil. »
« Ce n’est pas la même chose » rectifiais-je, c’est cela que veut dire Luiza : ce n’est pas la même chose. C’est vrai que Tatiana est assez éloignée du métier qui pourrait lui être proposer….
Tatiana : « Oui mais je connais les produits chimiques. »
En effet lui répondis-je, ça peut être un plus mais cela ne suffit pas. Quant à vous Fatima, le fait d’avoir été aide-soignante prouvera que vous aimez vous occuper des autres, que vous êtes sûrement patiente, disponible et organisée mais la plupart des tâches seront différentes.
Huyen demanda : « une tâche », je ne comprends pas.
Une « tâche » avec un accent circonflexe (comme un chapeau) sur le « â » ça veut dire « travail ». Attention si vous ne mettez pas l’accent cela voudra dire « salissure ». Si je renverse du café sur mon corsage, il y aura une tache sans accent sur le « a ».
Sélim, une Turque déclara : « Vous êtes bien compliquez les Français. Ça se prononce pareil ? »
J’expliquais que pour le synonyme de travail le « â » est plus accentué mais que suivant les régions ce n’est pas perceptible….
Isabelle dit : « Je faisais le ménage chez mon voisin quand il est revenu de l’hôpital. Avant j’ai travaillé dans une exploitation horticole mais elle a fermé.
Je demandais à Isabelle de nous raconter ce qu’elle faisait chez son voisin.
Isabelle : « C’était un vieux monsieur, il était tombé et s’était foulé le pied, peut-être cassé un peu ; enfin, il avait un plâtre qui prenait son pied et un peu sa cheville. Je passais le matin lui préparer son petit-déjeuner après le départ de l’infirmier qui s’occupait de sa toilette et de ses médicaments. Je passais un coup de balai, je regardais si la salle de bain et ses toilettes étaient propres, je faisais le lit, parfois je faisais tourner une machine. Ensuite j’allais faire ses courses s’il en avait besoin, je faisais les miennes en même temps. J’accrochais le linge au retour. À midi il y avait un service de la mairie qui lui apportait à manger. Je repassais en fin d’après-midi et lui rangeais son linge, je faisais un peu de rangement, la poussière et je regardais s’il avait à manger pour le soir.
J’ai fait ça pendant presque deux mois puis avec ses enfants, ils ont décidé qu’il partirait en maison de retraite. Quand j’étais plus jeune, j’étais l’aînée de quatre enfants, en plus, ma grand-mère vivait avec nous, j’avais l’habitude de faire le ménage.
Elles continuèrent leur conversation en sortant, elles questionnaient beaucoup Isabelle. J’étais contente, car elles communiquaient en français et Isabelle, la timide, se sentait enfin exister.
Dans l’après-midi, la responsable de l’entreprise d’aide à la personne arriva accompagnée du responsable du centre de formation. C’était une femme élégante d’environ quarante ans. Elle se présenta et expliqua ce qu’elle attendait de ses employées.
C’est un secteur composé d’un grand nombre d’activités hétérogènes. Le travail consiste surtout à permettre à ces personnes de vivre dans un environnement sain. Nos aides ménagères effectuent un ensemble de tâches de manière à leur assurer confort et bien-être. Il s’agit donc d’entretenir le domicile, s’occuper du linge. Pour certains, nos aides à domicile peuvent préparer des repas équilibrés en veillant au respect des goûts des personnes et bien entendu aux prescriptions médicales. Parfois, l’auxiliaire de vie accompagne la personne faire les courses, ou les fait pour elle. On peut aussi nous demander une aide pour les démarches administratives. »
Je prenais des notes .
Si ce métier vous intéresse, il faut savoir que vous devrez être polyvalente, organisée, rapide, disponible (l’amplitude horaire peut être conséquente), patiente, adaptable aux caractères ou exigences des clients, autonome, discrète etc…
Vous devrez savoir vous exprimer simplement, dialoguer et être toujours de bonne humeur pour accompagner positivement ces personnes souvent isolées.
J’ajoute que je tiens beaucoup aux respects des normes et des règles que ce soit avec les personnes ou la manière de travailler. Je compte sur la fiabilité de mon personnel.
C’est bon, vous avez compris ? Avez-vous des questions ? »
C’était le silence dans la salle… Elle fixa les stagiaires quelques secondes puis, se tournant vers mon responsable et moi, elle expliqua en parlant plus doucement : « Du fait de l’allongement de la durée de la vie, il y a de plus en plus de personnes vulnérables et dépendantes, la demande d’aide à domicile est en croissance depuis de nombreuses années. De plus c’est un marché soutenu par les financements publics dont l’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie) qui s’adresse aux personnes de plus de 60 ans ; donc c’est un marché en pleine expansion. Les seniors sont une cible privilégiée pour ce type de services. »
Mon responsable se leva et se dirigea vers la porte, elle en fit autant en se retournant avec un sourire, elle s’arrêta et s’exclama :
– « Ho ! J’allais oublier de vous donner les coordonnées ».
Nous leur donnerons, ne vous inquiétez pas, voulez-vous un café ? demanda le responsable.
Lorsqu’ils furent sortis, des murmures envahirent la salle, les sourires avaient disparu.
« Alors Mesdames que décidez-vous ? demandais-je.
- Madame, on n’a rien compris, dit Selim.
- Si un peu quand même, marmonna Isabelle.
- Toi é francês ; normal.
- Bon, ce n’est pas grave, nous allons en reparler et en même temps nous ferons un cours de vocabulaire, ça vous convient ? »
Je réexpliquais dans un vocabulaire plus simple ce qu’avait dit la responsable de l’entreprise. J’avais repéré des mots lors de sa prestation, je leur en expliquais la signification dans le contexte : prestations, majoritairement, hétérogènes, environnement sain, bien-être, prescriptions médicales, autonomie, vitalité et épanouissement, convivialité, primordiale, polyvalente, l’amplitude horaire peut être conséquente, normes, fiabilité…
Elles semblaient rassurées.
Mais l’une d’elle m’interpella : « c’est cette Madame qui va nous expliquer ce qu’il faut faire ?
- Je ne sais pas, je ne crois pas, je pense que vous seraient guidés par des plus anciennes qui travaillent dans les appartements. »
Elles soupirèrent et sourirent à nouveau. La séance était terminée, elles sortirent du centre en discutant les unes avec les autres. Il y avait une Tunisienne, une Russe, une Espagnole, une Turque, une Française, deux Marocaines et une Vietnamienne. Pour se comprendre, elles ne pouvaient que parler français. Isabelle la Française était souvent sollicitée. Elle s’épanouissait, prenait confiance en elle.
Le lendemain, le responsable est venu leur demander lesquelles étaient intéressées par cette offre d’emploi. Elles étaient toutes d’accord. Il leur dit qu’il allait prendre rendez-vous pour elles et leur indiqua l’adresse où elles devraient se présenter.
Il revint quelques heures plus tard leur dire qu’elles étaient attendues le lundi à 8h 30.
Ce que nous ignorions, c’était que ce rendez-vous était une convocation à passer un test préalable à un éventuel entretien d’embauche.
Quand elles revinrent au centre l’après-midi, elles étaient catastrophées, leurs visages si rayonnant le vendredi soir s’étaient ombrés de tristesse.
« Ça pas marché, Madame dit Fatima
- Moi j’ai un peu compris les produits dangereux, déclara Tatiana
- Je ne savais pas quoi dire pour me présenter et parler de mon expérience, les questions étaient dures, murmura Isabelle.
- No se entiende, rien compris, explosa Luiza »
En discutant longuement avec elles, j’ai pu reconstituer quelques-unes des questions posées. En voici quelques exemples :
Outre les questions sur l’identité, il était demandé
- Présentez-vous-en quelques lignes
- Parlez de votre expérience
- Avez-vous une bonne condition physique ?
- Etes-vous allergique ? si oui, à quoi ?
- Quels sont selon vous les activités plaisantes dans ce métier ?
- Quels sont selon vous les activités non attractives dans cette profession ?
- La personne âgée vous demande de préparer son pilulier, que faites-vous ?
- Que faites-vous pour stimuler l’appétit d’une personne ?
- Qu’est-ce que l’APA ?
- Avez-vous le droit de couper les ongles de la personne dont vous vous occupez ?
- Cochez les pictogrammes montrant des produits dangereux ?
Respectez-vous les dilutions préconisées des produits ménagers ?
Quel matériel devez-vous utiliser afin d’éviter des allergies ou brûlures cutanées ?
Que peut provoquer le mélange alcool/javel ?
Que signifie le pictogramme du triangle barré d’une croix ?
À quoi sert un carnet de bord ? etc…
Et bien d’autres choses encore. Elles avaient deux heures pour répondre.
Aucune n’avait été retenue pour passer l’entretien. C’est ce que leur avait annoncé une personne vers midi moins le quart environ.
Je compris qu’il fallait trouver un moyen de leur apprendre le français à travers les activités que les stagiaires rencontraient ou qu’ils pourraient être susceptibles de rencontrer.
À partir de ce jour, j’eus un entretien avec chacun et chacune à leur arrivée, de manière à comprendre quels étaient les obstacles auxquels ils se heurtaient, quelles étaient leurs aspirations.
Le test de positionnement initial était un bon outil pour repérer les acquis ou les lacunes mais il n’était pas suffisant. Je savais que ce test ne représentait pas toujours la vérité car certains regardaient sur leur voisin et d’autres n’osaient pas répondre à certaines questions de peur de se tromper.
Je savais en plus maintenant que l’individualisation de la formation devait prendre en compte :
- Leurs acquis et leurs lacunes en français et/ou en mathématiques (c’est surtout cela que j’enseignais).
- Leur niveau de connaissances dans un domaine professionnel, leur savoir-faire dans la vie quotidienne, leur niveau scolaire ou les diplômes acquis en France ou à l’étranger.
- Leurs capacités cognitives.
- Les objectifs et les aspirations de chacun d’entre eux.
- Connaitre moi-même les activités, le matériel etc. des métiers envisagés
Le contrat d’objectif que je rédigeais alors avec eux s’étoffait d’une partie connaissances dans le domaine professionnel et social.
Les cours et les exercices devaient s’adapter à chacun. En français j’essayais de trouver des phrases, des textes en rapport avec
- soit une activité sociale : converser avec le voisinage, demander son chemin, comprendre et se faire comprendre chez le médecin, à l’école, au supermarché, dans les administrations …
- soit une activité professionnelle.
Les préparations étaient longues mais très passionnantes.
Comme ils travaillaient sur des sujets qui les touchaient personnellement, ils étaient plus motivés.
Ils étaient également pour la plupart capables de s’autoévaluer, d’estimer ce qu’ils maitrisaient et les connaissances qu’il leur fallait revoir.
Nous avions d’ailleurs conçu avec un des groupes un carnet n’autoévaluation.
C’était assez gratifiant pour eux, et une grande aide pour moi tout au long de la formation.
La difficulté était de trouver des ouvrages ou des articles en rapport avec les préoccupations de chacun. Je créais des exercices de grammaire et de conjugaison, je faisais des dessins sur les feuilles et au tableau pour le vocabulaire. Nous lisions des articles, ils rédigeaient des mots, des petites phrases ou des textes selon leurs capacités à un moment T. Petit à petit au cours des rencontres avec chacun d’entre-eux, je créais de véritables cours et exercices adaptés à leurs objectifs. Je n’étais pas payé pour les heures passées en plus par mon centre mais je l’étais au centuple quand un ou une arrivait avec un grand sourire, après un entretien d’embauche, ou des tests pour entrer dans une formation qualifiante ou autre et me disait : « Madame Evelyne, j’ai réussi ! ».
Quand j’ai pris ma retraite, je n’arrêtais pas de penser à eux.
Après avoir rédiger le « Cahier d’alphabétisation pour lire, écrire et vivre en France » destiné au primo-arrivants ou au français peu ou pas scolarisés, j’ai revu les visages de Tatiana, Fatima, Luiza, Huyen et les autres et je décidais de rédiger un ouvrage accessible à plusieurs niveaux afin :
- de les familiariser avec le vocabulaire usuel de cette profession (surtout pour les FLE),
- de leur permettre de connaître les tâches essentielles à accomplir
- de les aider à respecter les règles de sécurité et les normes
- de leur donner la possibilité d’apprendre ou de revoir des règles d’orthographe et de conjugaison, et les connaissances indispensables en mathématiques en rapport avec ce type de métier
- de favoriser la compréhension et la rédaction d’écrits nécessaires à la vie sociale et professionnelle : feuille de paie, carnet de bord, feuille de maladie, CV, lettre de motivation…
C’est ainsi que fut édité chez « les presses du midi » https://www.lespressesdumidi.fr/livres/lespressesdumidi/product/5613-cahier-de-communication-pour-les-auxiliaires-de-vie-et-aides-a-domicile-d-evelyne-riberaigua.html
le « cahier de communication pour les auxiliaires de vie et aides à domicile »
Cet ouvrage de 206 pages est composé de plusieurs centaines d’illustrations et d’exercices d’application.
Voici le sommaire :
- Définition de l’aide à domicile
- Le ménage du logement
- Un peu de conjugaison et de vocabulaire
- Ameublement et liste de ménage :
- La cuisine
- La salle à manger et le salon
- Les WC et la salle de bains
- La chambre
- Divers
- L’entretien du linge
Converser poliment
- Une aide pour effectuer la toilette,
- La préparation des repas sur place.
Parlons chiffres et quantités (Quelques connaissances mathématiques) Vocabulaire culinaire
- Grammaire et conjugaison
- Le nom
- Les déterminants
- Les pronoms
- L’adjectif qualificatif
- L’adverbe
- Les conjonctions
- Les prépositions
- Le verbe: L’infinitif L’impératif L’indicatif Le conditionnel Le subjonctif
- La forme négative
- La forme interrogative et interro-négative
- Les documents
- Compétences et qualités
- Allocations et aides pour la personne dépendante
- Conseils sur le métier
- Le carnet de bord ; Fiche d’informations sur la personne aidée
- CV
- Lettre de motivation
- Questionnaires de candidature
- Contrat
- Planning
- Bulletin de paie
- Autres documents officiels –