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« Parcours humain à l’origine du projet du “Cahier de communication pour les manœuvres en BTP»

Accompagnant les apprenants dans leur projet professionnel, j’ai saisi des besoins qui ne me semblaient pas comblés par les outils existants jusqu’alors; ceux qui existaient était trop complexes trop techniques pour être utilisés dans les formations professionnelles de bases avec des migrants souvent peu scolarisés et/ou n’ayant qu’une faible connaissance de la langue française.

Voici l’expérience précise, qui a donnait naissance à ce projet.

J’enseignais depuis quelques années quand j’eus dans la salle où j’intervenais en tant que formatrice de français langue étrangère, un monsieur de 59 ans que nous appellerons Hamed. C’était un Marocain, il parlait couramment le français presque sans accent. Il était en France depuis ses 18 ans suite à un regroupement familiale. Il avait travaillé quelques années avec son père comme ouvrier agricole puis vers ses 20 ans, il fut embauché en tant que manœuvre en bâtiment pendant 4 ans dans une petite entreprise. Il trouva enfin un emploi dans une grande entreprise de BTP dans laquelle il resta jusqu’à son accident l’année précédente ; il était tombé d’une grue lors d’une tempête en essayant de la sécuriser. Hamed n’avait jamais été à l’école de sa vie, il ne savait ni lire ni écrire dans aucune langue. Il avait bien essayé avec des copains mais ce fut un échec. C’était la raison de son arrivée en formation linguistique de base.

« J’ai eu une belle vie, m’expliqua-t-il. J’ai commencé manœuvre mais j’ai terminé conducteur d’engin; je gagnais bien ma vie. Je me suis marié, j’ai trois enfants dont l’un est ingénieur dans les ponts et chaussées, ma fille est secrétaire médicale et mon dernier fils fait des études d’ingénieurs aussi.

Il ne savait pas lire mais avait une connaissance précise de la société française. Il connaissait les grandes lois, les administrations, le nom des présidents de la république, celui des maires dans les villes où il avait vécu. Il pouvait discuter des faits de société actuels et j’appris plus tard qu’il pouvait décrire avec exactitude tout ce qui avait trait à son métier. Il avait passé son permis de conduire et ses permis de conducteur d’engin sans savoir lire. Il avait avec l’aide de copains et de formateurs appris par cœur tous les livres et les examinateurs avaient accepté de l’interroger à l’oral.

Dans la même période, j’ai accueilli un Algérien primo-arrivant, lui aussi parlait couramment le français, il était capable de lire de journal, de remplir des fiches de renseignements ; il était titulaire d’un diplôme algérien plus ou moins équivalent au baccalauréat. Il avait travaillé dans le magasin de son père avant d’arriver en France. Il avait vingt-six ans.

Il aurait voulu un travail dans la vente surtout de voiture, d’engin ou sinon d’outillage , mais ses recherches étaient vaines pour l’instant. Ce jeune homme, Younès, était très sûr de lui. Il croyait tout savoir de la langue française et cherchait toujours à me poser des questions qu’il pensait être des pièges pour moi. N’oublions pas que j’étais sa formatrice de FLE. Il aimait aider ses collègues, quitte parfois à faire leurs exercices. J’essayais de lui dire qu’il fallait leur expliquer et non faire leur travail car ils n’en retiraient rien de bénéfique mais cela le faisait sourire.

Un jour, il me dit : Je voudrais plutôt devenir conducteur d’engin, il parait que ça rapporte bien.

  • Je ne sais pas lui répondis-je mais je connais quelqu’un qui peut vous renseigner. Allez discuter avec Hamed, c’était son dernier métier.

Sur le moment, il haussa les épaules et me dit qu’il verrait plus tard. Je l’entendis ricaner doucement avec ses amis en montrant de loin Hamed. Il connaissait les difficultés d’Hamed en lecture.

Les stagiaires devaient faire des stages en entreprise, le responsable de la formation lui trouva un stage dans une des plus grosses entreprises du BTP de la région. Il était très content.

Quinze jours plus tard, à son retour, il l’était beaucoup moins, on n’avait voulu lui donner que du travail de manœuvre, il n’avait vu les engins que d’en bas, de plus il n’y comprenait rien à toutes ces réglementations, ces équipements, ces mesures avec leur codes couleurs, le nom de certains outils et matériels etc…

Alors qu’il nous expliquait tout cela avec véhémence, Hamed l’interpela doucement et lui dit: “si tu veux je peux t’expliquer.”

Je les plaçais à la même table, un peu à l’écart des autres stagiaires. Hamed parla longuement, fit des croquis, Younès prenait des notes.

L’analphabète expliqua au bachelier : ” tu vois quand on mettait le réseau téléphonique il fallait que ce soit au moins à 60 cm de profondeur. Il fallait faire attention que le réseau de gaz soit à plus de 50 cm et celui de l’électricité à 20 cm au moins. Il y a aussi des filets ou balises de couleur qui correspondent aux types de réseaux. Par exemple le téléphone c’est vert, rouge pour l’électricité… “

Il continua ainsi pendant plus d’une heure. C’est Younes qui l’interrompit en disant : « stop ! je n’arriverai jamais à me souvenir de tout ça. »

Je lui conseillais d’essayer d’intégrer l’AFPA afin d’en apprendre davantage. Je ne pouvais pas l’aider. Il put néanmoins avant de passer les tests, apprendre un peu de vocabulaire et de techniques simples en prenant des notes que lui dictait Hamed.

Hamed progressait très lentement en lecture et en écriture, néanmoins après quelques mois de formation, il fut capable de renseigner les fiches Pôle Emploi, ou autres documents administratifs simples. Il n’était pas capable d’écrire des phrases et encore moins des textes. Il pouvait lire des phrases simples avec le vocabulaire appris, par contre la méthode syllabique n’imprimait rien dans son esprit. J’ai donc utilisé avec lui la méthode globale, nous n’avons pas pu aller très loin mais lui était heureux. Il adorait lorsque je parlais de la composition de l’état, des grands faits de l’histoire de France, de la géographie, des coutumes régionales. Il voulait avoir les documents écrits, il écoutait les autres lire.

Comme nous étions dans une ville médiévale. J’avais expliqué l’histoire de la ville, de ses monuments et bâtisses. De ce fait nous avions étudié l’architecture du château et des églises. Hamed et Alphonse le Sénégalais qui lisait lui aussi depuis peu, voulaient tout savoir. Sur les documents que je donnais outre les textes racontant l’histoire ou les types d’architecture il y avait aussi de superbes illustrations. Ces deux stagiaires semblaient conserver ces papiers comme des trésors, c’était émouvant.

Quelques jours après avoir étudié avec la salle tout ce qui concernait la ville, nous décidâmes de faire les touristes et de la visiter. Tous la connaissaient mais cette fois c’était avec une autre vision. Avec ceux qui ne parlaient que depuis peu le français, nous en profitâmes pour énoncer le mobilier urbain, celui des parties visibles des maisons.

Alors que nous montions dans une rue médiévale de la ville, Alphonse, le Sénégalais sortit une grosse clé de sa poche et m’interpella :

  • ”  J’habite ici, venez voir, tous. 
  • Non, lui répondis-je, nous sommes ici pour voir l’histoire de la ville.
  • Venez, vous ne le regretterez pas, insista-t-il.”

Il ouvrit une porte incluse dans un lourd portail, et en montrant le plafond de ce couloir menant à une cour, il s’exclama : « c’est gothique, ça, non ? »

En effet c’était bien du gothique. Dans la cour, il nous montra un lavoir et nous expliqua que ce bâtiment, aujourd’hui converti en plusieurs appartements, était un ancien cloitre.

C’était Alphonse qui me faisait découvrir des trésors de la ville. Quelle émotion !

Après avoir vu plusieurs autres églises et maisons, nous arrivâmes sur les ruines du château fort. Dans une des cours, nous étions devant un immense mur, et cette fois ce fut Hamed qui en montrant des ouvertures nous cria : « ça, ce sont les meurtrières et en haut les créneaux ».

Deux mois après la fin de son stage, je vis revenir Younès avec un grand sourire. Il venait de réussir les tests de l’AFPA pour devenir maçon. Il voulait voir Hamed. Les deux hommes discutèrent un long moment puis se serrèrent chaleureusement la main. Avant de sortir, il dit à toute la salle: “c’est grâce à Hamed et à Madame Evelyne (c’est ainsi qu’ils me nommaient) que j’ai réussi.” Cela a fait comprendre à certains d’entre-eux qu’on peut être analphabète et intelligent, l’un n’implique pas l’autre, ce sont les parcours de vie qui donnent à chance aux uns d’être scolarisé et pas aux autres.

Ces rencontres m’ont portée tout au long de ma vie professionnelle, elles m’ont encouragée à poursuivre surtout lorsque je doutais. Tous m’ont appris à leur apprendre. Leurs compétences, leurs questionnements m’ont donné la possibilité de m’enrichir, et ainsi de mieux individualiser mon enseignement par rapport aux attentes de chacun. Je devais inventer chaque jour, le travail de préparation dépassait de beaucoup le temps qui m’était officiellement accordé mais leur satisfaction, leur sourire m’ont payé au centuple.

C’est la raison pour laquelle à la retraite, j’ai conçu des ouvrages pour continuer à les aider et faciliter le travail des formateurs en CléA et FLE/FLI.

Deux de ces ouvrages sont édités chez « Les Presses du Midi ».

  • Cahier d’alphabétisation pour lire, écrire et vivre en France
  • Cahier de communication pour les auxiliaires de vie et aides à domicile

Le troisième écrit en repensant à Hamed, Alphonse, Younès et bien d’autres, est en attente d’un éditeur.

Ce dernier ouvrage, le 3ème « Cahier de communication pour les manœuvres du BTP » a pour objectif d’initier à la compréhension et à l’expression orale et écrite en français dans ce domaine professionnel particulier du bâtiment et des travaux publics.

 

De par mon expérience de formatrice, je connais l’attente des personnes venant en formation, des organismes de formation et des pouvoirs publics ayant mis en action le CPF et le PIC : acquérir des compétences clés et construire un projet professionnel.

Ce cahier (200 pages) est un résumé de connaissances et de compétences professionnelles pour un manœuvre en BTP en devenir. Il peut également permettre aux formateurs en CléA d’adapter les cours et les exercices au secteur professionnel envisagé.

Ce livre contient des centaines d’illustrations avec légendes ainsi que des exercices d’applications ; il est composé :

  • 1ère partie

Un vocabulaire illustré rassemblant l’essentiel pour comprendre les risques, connaître la sécurité, appréhender les termes utilisés dans le gros œuvre (des actions, des matériaux et matériels) et un résumé des métiers de second œuvre. C’est une formation rapide : français à visée professionnelle (FVP).

  • 2ème partie

Les connaissances nécessaires en numération et en géométrie à savoir dans ce secteur d’activité.

  • 3ème partie

Une présentation de quelques tests psychotechniques afin de s’initier à ce type d’exercices.

  • 4ème partie

La compréhension d’instructions données, d’informations et de réglementations de documents officiels.

L’expression écrite de fiches de renseignements, de données professionnelles, de CV et lettre de motivation.